samedi 13 novembre 2010

EXEMPLE FINLANDAIS : Fini l'échec scolaire ?

Le Café pédagogique – 12 Novembre 2010
Le collège finlandais : Fini l'échec scolaire ? 
Par Jeanne Claire Fumet
Le « modèle » finlandais a de quoi faire rêver : avec un taux de réussite scolaire de 99,7%, difficile de ne pas y chercher quelque remède contre l'échec scolaire, ce mal endémique qui ronge notre système scolaire. Professeur de français, Claude Antilla a enseigné pendant 35 ans en Finlande, détachée par le Ministère de l’Éducation nationale. Très sollicitée par des associations de parents en lutte contre l'échec scolaire, en particulier en Belgique et au Canada où elle donne de nombreuses conférences, elle s'efforce de faire connaître les particularités du système finlandais, sans  nier les spécificités économiques, politiques géographiques et sociales de la Finlande. Elle nous invite à découvrir quelques éléments de la solution finnoise.
Une scolarisation tardive mais efficace
 La scolarisation précoce est considérée comme déterminante en France. Est-ce le cas en Finlande?
En Finlande, la scolarité ne commence qu'à 7 ans. Mais les enfants sont prêts, et ils apprennent très  vite. Une pré-scolarisation est proposée à partir de 6 ans. Elle n'est pas obligatoire, mais gratuite, et suivie à 100%. La scolarité obligatoire se poursuit ensuite d'un seul bloc jusqu'à 15 ou 16 ans, sans filières de spécialisation, sans redoublement et avec une obligation de réussite pour tous, quelles que soient les difficultés. On intègre et on garde tous les enfants, même ceux qui souffrent de handicaps, et on les conduit au terme de leur scolarité. Il n'y a pas d'abandon avant 16 ans.
Garder les enfants à la maison jusqu'à 6 ans, n'est-ce pas une contrainte pour les familles ?
La Finlande a dû faire face à d'importants problèmes démographiques : avec une faible immigration et une natalité basse, il a fallu établir une vraie politique familiale. Les communes mettent en place des systèmes de crèches, de garderies, de jardins d'enfants, facturés au prorata des revenus des parents. Le congé de maternité dure 11 mois et on recommande que l'un des parents reste à la maison les trois premières années, avec l'assurance de retrouver son emploi à son retour.
Autre mesure importante, le suivi sanitaire des enfants, de la grossesse à la scolarisation : on s'efforce de dépister très tôt les problèmes d'apprentissage qui risquent de se présenter. On parvient à de bons diagnostics sur la dyslexie, par exemple, et on évite bien des échecs futurs.
Quelle aide reçoivent les enfants en difficulté ?  
Chaque école dispose d'une assistante sociale scolaire et d'un enseignant spécialisé qui gèrent les problèmes individuels. L'enseignant spécialisé est déchargé de classe et il intervient ponctuellement sur des actions de soutien personnalisées, en concertation avec ses collègues, sur le temps scolaire. On évite ainsi d'alourdir les journées. Les rythmes scolaires sont très différents de la France : en général, on respecte l'alternance de 45mn de concentration pour 15mn de pause, afin de préserver une bonne qualité d'attention des élèves. Les journées finissent tôt : 13h pour les plus jeunes, 16h à l'université. On estime que c'est une condition pour rendre l'enseignement efficace.


Evaluation pondérée et programmes souples
 Cela peut-il suffire pour faire réussir tous les élèves ?
C'est un ensemble : l'évaluation et les programmes sont pensés très différemment. On n'évalue pas avant l'âge de 10 ans, sauf par appréciations et et on recourt beaucoup à l'auto-évaluation. Ensuite, les notes vont de 4 (éliminatoire) à 10. Mais on ne laisse pas un élève à 4 : on fait tout pour l'aider à s'améliorer.  Avec un tel acharnement qu'en général, il finit par y arriver ! En réalité, ce n'est pas la performance scolaire qu'on évalue, mais plutôt le degré de réussite globale, en tenant compte des capacités de chaque enfant. Et on trouve parfois des solutions inattendues : ainsi, en développant  les outils informatiques pour aider les garçons, plus en difficulté que les filles, on a obtenu un retournement de situation : ce sont les filles qui sont maintenant à la traîne... Reste à les familiariser avec ces instruments moins familiers pour elles.
Contenus et méthodes sont assez libres puisqu'il n'y a pas d'évaluation nationale. Mais pour le Brevet, l'élève doit avoir atteint un niveau moyen (5) dans tous les domaines – et ils sont nombreux et variés, afin que chacun trouve celui qui le valorise. Les programmes sont  moins rigides : on attribue un quota d'heures par matière et des référentiels d'apprentissage par objectifs. On détermine compétences et savoir-faire qui doivent être acquis, sans détailler le contenu. C'est l'objet d'une consultation très ouverte. On transmet cette trame aux équipes municipales, en général des enseignants mis à disposition qui rédigent les contenus, puis chaque équipe affine en fonction de son public. C'est une gestion très décentralisée.
Cela entraîne-t-il une compétition entre les établissements ?
Pas du tout : le principe est celui de l’égalité et l'homogénéité pour tous et sur tout le territoire. Il est d'ailleurs interdit de publier des classements des écoles, qui les mettraient en concurrence. Le ministère effectue des tests, mais ils sont anonymes et confidentiels, et ils servent surtout à mettre en place des solutions de soutien quand il y a des problèmes. Détail important : il n'y a qu'un seul réseau en Finlande, qui compte moins de 5 % d'écoles privées (étrangères, Steiner, internationales, juive...). Toutes ont rejoint le circuit public géré par les communes.
Mais n'y a-t-il pas des disparités réelles entre les établissements ?
Pas vraiment, parce que la Finlande a su tirer les leçons des erreurs commises ailleurs : depuis les années 70, une politique volontariste de mixité sociale fonctionne sur tout le territoire. On ne sépare pas les élèves faibles et ceux qui sont brillants. Les milieux et les origines sont mélangés et représentés dans toutes les écoles, car on favorise la mixité dans l'habitat, pour éviter les ghettos.
En Finlande, la politique d'immigration est sévère mais plutôt généreuse : les réfugiés ont deux voire trois années pour apprendre le finnois et se perfectionner dans leur langue d'origine. Pendant ce temps, ils sont dispensés de recherche d'emploi et pris en charge par l’État  (ce qui suscite parfois la colère des Finlandais, d'ailleurs). Les enfants sont intégrés dans l’école du quartier, et en général, ça fonctionne plutôt bien. Devant l'évolution de l'immigration (essentiellement venue des pays de l'Est), on a fixé un taux maximum de 15% d'étrangers par classe dans la région d’Helsinki, mais on pense atteindre 25% dans quelques années.



Un lycée professionnel plus sélectif
Après le cursus obligatoire, que deviennent les élèves ?
Ils vont au lycée général ou professionnel, dont les conditions d'accès sont plutôt sélectives.  Les épreuves du bac ne comportent que quatre matières ; les élèves les plus faibles ont droit à une année supplémentaire de rattrapage pour s'assurer le niveau requis. Le lycée professionnel est plus sélectif ; en plus de la formation technique, il propose une formation générale et linguistique. Environ 53% des élèves entrent au lycée et 47% dans le professionnel, avec un taux de réussite au bac de 95%. Il faut préciser qu'ils ont deux sessions par an et peuvent obtenir leur diplôme en trois sessions successives au maximum, ce qui limite l'échec.
N'y a-t-il pas davantage d'échec après le Brevet?
Au lycée, on compte 4,5% d'abandon en série générale et 9,8% en professionnel. L'entrée dans le supérieur est  régulée par des examens d'entrée et, selon les branches, un numerus clausus. Le taux d'abandon est de  5,8% à l'université et 9% en IUP.  Mais ce taux d'échec est en régression chaque année grâce aux efforts déployés en termes d'orientation.
Pour mieux préparer les élèves à l'université, on a mis en place un système de lycée modulaire, avec des spécialisations « à la carte ». Les résultats ne semblent guère concluants, même si on estime en Finlande qu'après seulement 10 ans, on manque encore de recul pour en juger. Les apprentissages se révèlent fragmentés, discontinus, on perd la cohésion du groupe classe. Ce n'est pas à mon avis une bonne solution. Curieusement, c'est le seul sujet sur lequel on m'ait demandé de témoigner officiellement en France. Je le regrette, il y a tellement d'autres aspects du système finlandais à étudier ! La Finlande reste tout de même un des pays à avoir le plus de diplômés dans le supérieur, et il fait le plus grand effort pour la recherche : 4% du PIB y est consacré.
Vous pensez que la France pourrait adopter certaines de ses méthodes ?
Les conditions sont très différentes, mais il y a matière à réflexion : éviter l'évaluation négative et la sanction, au profit du soutien et de l'encouragement, rendre l'élève autonome, responsable de ses apprentissages, tenir compte des capacités réelles de chacun et s'efforcer de faire réussir tout le monde, sans discrimination, éviter la spécialisation précoce, le cloisonnement des disciplines, les programmes qui tournent au bourrage de crâne, favoriser le travail d'équipe... Tout cela est connu, mais encore faut-il réussir à convaincre que c'est utile et efficace pour lutter contre l'échec scolaire.
Claude Antilla - Propos recueillis par Jeanne Claire Fumet

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